Cette nouvelle création pour six danseurs de Christian Ubl débarque au Pavillon Noir vendredi 9 et samedi 10 février. Une pièce légère et fantaisiste qui explore l’effet papillon.
Par Malik Teffahi Richard
Publié le 08/02/24
Sur scène, un drôle de DJ et batteur électronique (Romain Constant) armé de brosses, de toupies, de chaînes et de jouets pour chiens donne le rythme et le La, créant des sonorités inédites à la façon d’un bruiteur de cinéma.
Trois danseuses (Émilie Cornillot, Marion Dechanteloup, Hannah Le Mesle) et trois danseurs (Martin Mauries, Baptiste Ménard, Yoann Hourcade) alignés font le geste de lancer un caillou, puis le geste s’amplifie, passe d’un corps à l’autre, comme une réaction en chaîne.
Les six danseurs vêtus de noir entament alors une valse circulaire, à la manière de l’aiguille d’une horloge, qui évoque le passage du temps, peut-être aussi la transmission d’une génération à une autre (les costumes allant du queue-de-pie ancien au plus contemporain). Romain Constant dirige tout à coup la musique à l’aide d’un thérémine, cet étrange instrument vibratoire d’origine soviétique qui se joue à mains nues, sans avoir besoin d’être touché.
La musique se fait de plus en plus ample et aérienne, et la danse au départ minimale, atomisée, se fait moléculaire, de plus en plus complexe, fantaisiste et imprévisible… Et tout le long, on se demande si oui ou non les dominos disposés sur scène vont tomber.
« Le point commun à toutes mes créations, c’est le hasard, la coïncidence, les réactions en chaîne, commentait le chorégraphe Christian Ubl, mardi, en marge des dernières répétitions avant la première. Je suis fasciné par l’effet papillon, cette idée qu’un mini-geste déclencheur peut avoir d’immenses conséquences. Par exemple, même si on ne s’en rend pas compte, le fait de ne pas dire bonjour à quelqu’un à un instant peut nous faire rater une rencontre, changer notre destin.«
Après avoir pratiqué le patinage artistique pendant toute son enfance (pour faire plaisir à sa patineuse de mère) puis les danses sportives latines (rumba, cha-cha-cha, samba…) dans l’équipe nationale d’Autriche, Christian Ubl est venu s’installer en France à 23 ans pour approfondir l’aspect artistique et apprendre la danse contemporaine, à l’école Coline, à Istres. Il a lancé sa compagnie CUBe en 2005 et est devenu chorégraphe à plein temps en 2012. C’est un fidèle du Pavillon noir, déjà venu en résidence en 2006, 2010, 2014 et 2017.
Photo Cyril Sollier
Le chorégraphe Christian Ubl présente la première de sa nouvelle création « The Ways Things go », jeudi 8 et vendredi 9 février au Pavillon Noir.
Effets papillon et domino
Dans The way things go, sa dernière création, le goût de l’Autrichien pour le hasard qui fait bien – ou mal – les choses a été fortement inspiré par Le Cours des choses(1988) : un film expérimental suisse de Fischli et Weiss où, au cours d’un long plan-séquence de 30 minutes, des objets (matelas pneumatique, pneus, ballons, bougies…) interagissent dans un immense effet domino qui utilise de nombreuses réactions chimiques (mousses, combustions, fontes de glace, fumées entraînant une roue…).
Dans The way things go, Christian Ubl a ainsi embauché un artificier pour créer quelques étincelles et autres écrans de fumée. Tout part pourtant de ce petit geste de rien du tout : lancer un caillou. « Ce geste devient un leitmotiv, j’ai voulu partir de gestes simples du quotidien pour terminer sur une danse absurde et burlesque, souligne le chorégraphe de 52 ans. La pièce est née pendant le Covid, à un moment où toutes nos interdépendances ont été questionnées en même temps qu’elles devenaient saillantes. »
Outre les dominos qui rajoutent de la tension dramatique, la musique d’abord orageuse laisse entendre que rien n’est gagné. Mais loin d’être dépeinte comme contraignante ou négative, l’interdépendance façon Ubl apparaît au contraire comme la condition autorisant une forme de tendresse mutuelle… Ce n’est semble-t-il que parce que chaque danseur est à sa place et remplit sa fonction que chacun peut déployer sa gestuelle propre, son identité, et mettre en marche ce qui s’apparente, à la fin, à une grande horlogerie.
L’espace d’abord inquiétant s’ouvre alors de manière joyeuse et solaire, étonnante et légère, laissant libre cours aux corps et aux couleurs… « L’idée c’est que si chacun vit au départ une partition un peu isolée, mises toutes ensembles dans un mouvement organique et continu, elles peuvent créer une histoire« , reprend Christian Ubl.
En pointillé, The ways things go démontre ainsi par la danse comment, par effet papillon, une juste manière de mobiliser le corps et la pensée pourrait « faire avancer l’humanité dans la bonne direction« .