La condition humaine, vue dans le miroir déformant d’un ballet ludique et désopilant, aussi absurde que mécanique.
Par Thomas Hahn
Publié le 08/02/24
Un événement déclenche un autre, une mécanique se met en route, bien huilée car bien préparée. Le film Der Lauf der Dinge (le cours des choses) de Fischli & Weiss de 1987 a servi comme point de départ à Christian Ubl pour une nouvelle création pleine d’humour et de facéties. Un petit retour sur ce court métrage n’est donc pas inutile. Dans un hangar, un improbable amas d’objets en ferraille, bois caoutchouc etc., tous issus de la vie quotidienne, rencontrent des liquides, des flammes ou autres invités surprise.
Dans cette réaction en chaîne, tantôt mécanique, tantôt chimique, tout est prévu, et pourtant imprévisible, tout contient son potentiel d’élévation comme de destruction, et est pourtant risible. Parmi les questions posées par ce duo d’artistes on trouve celle de savoir si le hasard existe. Et on ajoute celle de savoir si l’esprit ludique des enfants peut capter l’essence du monde tel que l’humanité l’a construit.
Effets papillon et domino
Dans The way things go, sa dernière création, le goût de l’Autrichien pour le hasard qui fait bien – ou mal – les choses a été fortement inspiré par Le Cours des choses(1988) : un film expérimental suisse de Fischli et Weiss où, au cours d’un long plan-séquence de 30 minutes, des objets (matelas pneumatique, pneus, ballons, bougies…) interagissent dans un immense effet domino qui utilise de nombreuses réactions chimiques (mousses, combustions, fontes de glace, fumées entraînant une roue…).
© J2MC – Photo
Le plaisir de l’instant
Quand mille événements chorégraphiques refusent de construire une narration ou un discours, alors les interprètes et spectateurs sont libres de profiter pleinement de la poésie et de la joie de l’instant, à la manière des enfants ou bien en amateur de danse pure. Le vocabulaire d’Ubl emprunte ici aux danses traditionnelles, au Bauhaus et aux danses sociales, créant sans cesse des effets de surprise au sein d’un modèle chorégraphique où les interprètes sont pris dans une mécanique, souvent linéaire mais globalement imprévisible, qu’ils ne cessent de déclencher. C’est ce qu’on appelle le burlesque…
Une chose semble cependant certaine : Le demi-cercle de boites blanches, posées au sol tel des dominos, finira par s’effondrer dans une réaction en chaîne de la chute. Et pourtant, elle ferait rire. Et la pièce serait terminée. L’inéluctable fait donc, inéluctablement, partie du cours des choses. Mais avant d’en arriver là, Ubl sait introduire des effets de retardement poétiques et désopilants, jusque dans la relation, également pleine de drôlerie, au batteur et compositeur électronique Romain Constant qui introduit ici le concept de batterie préparée.
Entre plaisir de l’instant et réflexion sur la part absurde de la condition humaine,The Way Things Go rend hommage à la danse et à l’enfance, déclenchant rires et réflexions en mode linéaire collectif ou selon le modèle rhizomique personnel de chacun. Créé au Pavillon Noir d’Aix-en-Provence, ce petit ballet plein de suspense et de drôlerie, inénarrable et inépuisable, s’adresse à tous les âges, offrant un millefeuille d’entrées et de lectures, du rire enfantin aux théories scientifiques et visions philosophiques.