Conçue pour six danseurs, la pièce a été créée avec seulement deux danseuses et trois danseurs au Pavillon Noir.
Par Jean Barak
Publié le 15/02/24
Aléas
Ça illustre parfaitement l’effet papillon qui est le fil rouge de la pièce, une blessure d’une danseuse suffit et c’est une toute autre pièce, recomposée dans l’urgence pour cinq interprètes. Le rôle manquant sera repris -ou pas- pas l’absente si c’est possible, ou une autre si c’est trop grave. Ce sera encore une autre pièce. La vie est aléatoire. Alea jacta est. Ainsi vont les choses, The Way Things Go.
Musique vivante
En français on dit « real life », mais le français ça fait ringard. Le musicien-acteur évolue sur scène, à la batterie et aux appareils électroniques, il est -sauf accident- le septième homme. Une architecte organise l’espace en cercles, sous forme de dominos géants qui ne demandent qu’à tomber : suspense, et quelques marques fluos au sol. Parfois un feu de bengale joue les artifices, il y a donc aussi un artificier. C’est assez minimaliste, voire minimalissime si le mot existait, mais il y a la danse et la musique.
Christian Ubl n’est ni un débutant, ni un inconnu, la pièce plait aux adultes comme aux enfants.
Christian Ubl
Né autrichien, passé par le patinage artistique et les danses latines acrobatiques, il tombe dans la danse contemporaine, parcours le monde, jusqu’à rencontrer Trisha Brown. Ne venant pas du sérail il n’est pas formaté et explore toutes les pistes, comme cette pièce avec un illusionniste, Kurt Demay, « the Garden of Chance » programmée depuis 2019 au Pavillon Noir, ou la remarquée « Shake it out » en 2014, « Still » en 2017, très impressionnant, « Langue de Feu et Lame de Fond » sur le drame des migrants naufragés, bouleversant…et ainsi de suite.
Photo Jean Barak
C’est un touche à tout qui peut parfois surprendre, voire déplaire, mais n’est jamais où on l’attend. Et le public suit comme un seul humain.
Il ne faudra pas chercher un sens caché à cette pièce, elle est construite sur le mode du cadavre exquis, une suite illogique qui produit un sens poétique aléatoire, ou mieux sur la concaténation de l’effet papillon. Un évènement anodin en produit un autre, qui en produit un autre, puis un autre et ainsi de suite. Au bout du compte, on imagine qu’un battement d’aile de papillon au Brésil va provoquer un ouragan à l’autre bout du monde américain, au Texas. Si c’est assez improbable, c’est une belle métaphore.
Dans son expression initiale, elle est interrogative et démontée pièce par pièce par le conférencier qui l’a posée, le météorologue Edward Lorentz. Il n’empêche que que l’idée est restée comme une vérité incontestable démontrée par un scientifique. Reste l’effet poétique bien réel dont Christian Ubl s’empare avec jubilation et sans vergogne. Les adultes s’amusent comme des enfants, les enfants s’étonnent qu’un adulte puisse encore jouer comme un enfant.
Incontestablement, Christian Ubl a toute sa place, une place à part, certes décalée, mais dont on attend le retour impatiemment.
La danse contemporaine est devenue un champ mondial tellement vaste et protéiforme qu’une chatte n’y retrouverait pas ses petits, et c’est tant mieux.